Compte-Nickel, le compte bancaire alternatif, fait un tabac

Nov 9, 2015 dans Entreprises

Bon marché et distribué chez les buralistes, le service de compte bancaire alternatif a dépassé sa cible initiale des ménages modestes. Prochaines terres de conquête : les clients professionnels et l’international.

Automne 2015. Dans un open space lumineux dominant le gigantesque dépôt ferroviaire de Charenton-le-Pont, une équipe répond aux appels des clients. A côté, dans la salle de réunion, les deux fondateurs de Compte-Nickel, Hugues Le Bret, un ancien de la Société générale et cocréateur de sa filiale Boursorama, et Ryad Boulanouar, l’ingénieur geek ayant développé le Pass Navigo, ont les yeux qui brillent d’excitation. Un chiffre clignote sur l’écran. C’est le nombre de comptes ouverts : deux nouveaux clients par minute au plus fort de la journée !

Distribué chez les buralistes – où défilent chaque jour 11 millions de Français –, leur service bancaire révolutionnaire fait un tabac. En dix-huit mois, la Financière des paiements électroniques (FPE), la société mère, a conquis plus de 180.000 clients. Un seuil que Boursorama a mis quatre ans à atteindre, avec des moyens et des actionnaires autrement plus puissants. Progressant à une cadence soutenue (30.000 ouvertures en octobre), Compte-Nickel vise le million de clients d’ici à 2018.

Pour y arriver, pas question de renoncer aux quatre ingrédients qui ont séduit les premiers clients : utilité, simplicité, transparence et universalité. “Un cas d’école !” salue Guillaume-Olivier Doré, entrepreneur à succès et fondateur d’un fonds consacré à la fintech. Pour un abonnement annuel de 20 euros, Compte-Nickel offre le service bancaire minimal : une carte MasterCard, un RIB, un site Internet et un service clients. L’inscription se fait en cinq minutes. Une adresse et une pièce d’identité suffisent, aucune condition de revenus n’est exigée. Car le compte, débité instantanément, a la spécificité de ne pouvoir être débiteur.

Pas d’argent ? La carte est bloquée. Un modèle qui évite aux ménages les plus modestes des frais d’agios punitifs. “Nous sommes le seul service bancaire qui ne fasse pas payer les pauvres plus cher que les riches”, souligne Ryad Boulanouar. Tout en séduisant une cible extrêmement large, du chômeur au bobo argenté, bien au-delà des populations fragiles (chômeurs, interdits bancaires) visées à l’origine. “Je vois de tout, confirme un buraliste du VIe arrondissement parisien. Des étudiants en colocation, une dame qui confie la carte à son employée de maison, des jeunes salariés…”

Chouchou des investisseurs

Adopté par les consommateurs, Compte-Nickel a aussi fait craquer les investisseurs. Lancée avec des capitaux privés (136 business angels), la start-up a levé en septembre 10 millions d’euros, dont 5 millions apportés par le fonds Partech Ventures. “Le projet réunit tous les atouts que nous aimons : une technologie et un marketing complètement nouveaux pour attaquer un marché délaissé depuis longtemps”, explique Philippe Collombel, cofondateur de ce fonds.

Riche de cette cagnotte, la start-up compte d’abord étoffer et bichonner son réseau de distribution en France. Déjà un millier à s’être équipés d’une borne Compte-Nickel, les bureaux de tabac seront bientôt trois fois plus nombreux. Un investissement de 1 million d’euros. “Nous sommes en train d’instruire les dossiers de 1.700 buralistes qui seront bientôt équipés”, explique Hugues Le Bret. Pour ces petits distributeurs, confrontés à une baisse des ventes du tabac, des jeux et des timbres fiscaux, Compte-Nickel est un relais de croissance et une façon d’améliorer leur image. De vendeurs de tabac, ils deviennent banquiers. Plus chic. D’où l’implication forte de leur organisme professionnel, la Confédération nationale des buralistes de France, actionnaire historique, qui a renforcé sa participation à 6,1%. Pour soutenir les points de vente, FPE fournit affichettes, dépliants et posters. Et les buralistes pourront bientôt accrocher à leur porte une enseigne en aluminium blanc, à côté de la carotte rouge des tabacs ou du ticket RATP.

Distribué plus largement, Compte-Nickel veut aussi toucher d’autres publics. En octobre, il a lancé une offre pour les mineurs. Pour le même prix que leurs aînés, les 12-18 ans peuvent ouvrir un vrai compte. Seule différence, toutes les transactions sont validées par un parent. En novembre, trois opérations spéciales appuieront ce lancement, via des médias ciblés : la radio NRJ, le site chouchou des jeunes Topito, et, pour les mères de famille, Aufeminin. “Nous allons acheter 180.000 euros d’espace, une paille pour un planneur stratégique”, résume Pierre de Perthuis, cofondateur de FPE et ancien d’Havas.

Modèle duplicable

Autre vaste territoire de chasse, Compte-Nickel va attaquer début 2016 le marché des professionnels, une cible de 4,5 millions de clients : très petites entreprises (moins de dix salariés et 2 millions de chiffre d’affaires), professions libérales, artisans… Là encore, il cassera les codes et les prix, sur un marché plutôt mal couvert. Chiches sur les facilités de paiement, les banques pratiquent des marges élevées sur la location de terminaux. “Comme pour les particuliers, nous serons quatre à cinq fois moins chers que les banques”, dit Pierre de Perthuis. Réglementation oblige, les inscriptions devront recevoir en sus la validation d’un expert-comptable. “Pour chaque filière de métier, nous allons nous appuyer sur des relais de prescripteurs : syndicats, fédérations…”, ajoute-t-il.

Dans un an, enfin, Compte-Nickel se déploiera à l’international, avec le soutien de Partech. “Le modèle peut se dupliquer partout, dans tous les marchés où il existe un buraliste ou un équivalent”, s’enflamme Alain Clot, président de l’association France Fintech et administrateur de Compte-Nickel. “Le modèle est tellement fort qu’il fait peur. Nous voulions investir, mais mon actionnaire, une banque, s’y est opposé”, confesse un capital-risqueur. Dommage. Valorisé 80 millions d’euros, Compte-Nickel vaut déjà son pesant d’or.

© Delphine DECHAUX – Challenges.fr – Retrouvez l’article original en cliquant ici