[COMPTE-NICKEL] Hugues Le Bret « Je voulais relancer les dés »

Fév 1, 2016 dans Entreprises

Avant PDG de Boursorama Aujourd’hui Président du comité de surveillance de la Financière des Paiements Electroniques – Christophe Guibbaud/Abacapress.com

Portrait: Sommé de quitter la banque, l’ancien directeur de la communication de la Société Générale s’est lancé dans le conseil avant de rencontrer Ryad Boulanouar. Ensemble, ils ont cassé les codes de l’univers bancaire et créé le Compte-Nickel.

Hugues Le Bret est un esprit libre qu’on ne muselle pas. Le président-directeur général de Boursorama pose sa démission au lendemain du procès qui oppose le trader Jérôme Kerviel au groupe Société Générale. La cause de ce départ précipité ? La publication d’un livre dans lequel celui qui a dirigé la communication de la Société Générale pendant plus de dix ans donne sa vision de l’affaire. « J’ai simplement voulu analyser ce qui s’était passé et faire réfléchir, confie le dirigeant, qui a démarré sa carrière en tant que journaliste financier. Je ne pensais pas qu’écrire ce livre favorable à la Société Générale m’amènerait à faire un choix cornélien entre mon job et la publication. »

Pour préserver sa liberté de parole et d’action, Hugues Le Bret choisit d’entreprendre. L’aventure aboutira au lancement du Compte-Nickel. Déployé au sein du réseau des buralistes, ce compte sans découvert et accessible à tous s’ouvre en cinq minutes. Le produit cible aussi les 2,5 millions d’interdits bancaires. Cette innovation simple bouscule les codes de l’univers bancaire. L’auteur de cette idée disruptive ? Le leader du projet, Ryad Boulanouar, un spécialiste des terminaux de paiements électroniques. Aussi à l’origine du porte-monnaie électronique Moneo et du passe Navigo pour les transports en commun en Ile-de-France.

Une fois sa liberté retrouvée, Hugues Le Bret refuse plusieurs postes prestigieux, en continuité avec sa carrière. « A 47 ans et après dix ans passés au comité exécutif de la Société Générale, le salariat m’offrait assez peu de marge d’épanouissement, analyse-t-il. Je voulais encore transformer le monde, sans avoir d’idée précise, je voulais relancer les dés. » Le temps de la réflexion, il monte une société de conseil. Une aventure qu’il avait déjà expérimentée en créant une entreprise à l’âge de 30 ans, après quatre ans passés chez Publicis. « Cette expérience m’avait préparé au plus difficile, assure-t-il. J’étais conscient que le téléphone ne sonnerait plus du jour au lendemain. Et j’avais déjà réussi à m’en sortir sans l’uniforme et les épaulettes. »

Nouveau souffle

Le lancement de son affaire s’avère plus pesant et difficile que prévu. Après onze ans à la Société Générale, il s’aperçoit que son carnet d’adresses se concentre sur le groupe. De nombreuses portes se ferment. En écrivant un ouvrage perçu comme clivant, il a brisé la loi du silence. Au bout de six mois, une rencontre avec Ryad Boulanouar lui apporte le nouveau souffle qu’il cherchait. L’entrepreneur lui demande de challenger son projet. En deux réunions, ils décident de s’associer.

Hugues Le Bret rejoint l’équipe de l’ingénieur « de génie » constituée de deux autres fondateurs : Pierre de Perthuis et Michel Calmo. D’abord à mi-temps, il vit sur ses économies et grâce à quelques missions. Il consacre très vite toute son énergie au projet. Le premier Compte-Nickel mettra trois ans avant de voir le jour. Au nombre des obstacles les plus difficiles à franchir, l’agrément de la Banque de France pour devenir un établissement de paiement. Au bout d’un an, les associés accouchent d’un dossier de 4.800 pages décrivant l’ensemble du projet dans les moindres détails. En mai 2012, le verdict tombe : il faut trouver 6 millions d’euros supplémentaires. Problème, le projet est soit déjà trop avancé pour les fonds d’investissement institutionnels, soit pas assez, puisqu’il ne réalise pas encore de chiffre d’affaires. Aucun grand groupe, aucune banque, aucune institution n’accepte de financer le projet.

En phase de déploiement

In fine, 50 investisseurs – pour la plupart des entrepreneurs et des relations personnelles et professionnelles des associés – répondent à l’appel. Les quatre fondateurs réunissent la somme in extremis, en coupant aussi leurs salaires et en puisant dans leurs dernières économies, allant même jusqu’à retarder les paiements de fournisseurs et prestataires. « A quinze jours près, le Compte-Nickel tombait dans les oubliettes des entreprises mort-nées », conclut Hugues Le Bret dans l’ouvrage « No Bank », qui décrit la genèse de l’entreprise. Aujourd’hui, la société entre en phase de déploiement. Elle a levé 10 millions d’euros et espère attirer 1 million de nouveaux clients d’ici à trois ans. « J’ai beaucoup de chance, reconnaît l’entrepreneur. Je suis toujours tombé sur de bons dossiers à des moments exceptionnels. »

© Ariane GAUDEFROY pour Les Echos – Retrouvez l’article original en cliquant ici